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Journal de l'autre bord
29 janvier 2005

Cheveux sur la ligne de départ

Alors, ce serait donc cela ?

Ce que l'on redoute, en homme qui avance, le signe avant-coureur de ce qui n'est presque plus, de ce qui ne sera définitivement pas négociable dès un lendemain imminent, ce que l'on aperçoit, consterné, dans la lueur d'un reflet et d'un miroir stratégiquement inversé. Parce qu'il est de ces acrobaties géniales qu'elles en demeurent mémorables, tant par la singularité de l'opération que par le choc insondable qu'elles produisent : une certaine idée de ce qui annonce le déclin, le départ vers un âge adulte. Tellement trop adulte...

Il en est donc fini des cellules dynamiques, de la croissance, de ce qui se régénère généreusement, la peau, les os, les cheveux... Maintenant sonne le glas dans la glace, et je constate avec effroi, autant morbide que surpris, le petit lien qui me lie avec ma gent, ce qui fait inexorablement de moi un individu ordinaire, à leur image, la leur, la mienne, les poignées d'amour qui s'acoquinent désormais à la calvitie naissante...

Je suis un homme, un vrai : je les perds à mon tour. Là-haut, tout derrière, moi qui avais le sens agacé de ces séances au salon de coiffure où j'implorais de me désépaissir tout cela, de me tailler dans la masse, cette chevelure dont les démagos artistes des ciseaux m'en vantaient l'opulence, me voilà désormais à entendre le fatidique et insoupçonnable "ils s'éclaircissent, vous savez"...

Ah, ça... désormais, je sais, je vois, je traque, je peste contre une fatalité dont pas un seul instant je n'avais pensé qu'elle me ferait la grâce de sa mésaventure. Serais-je le maillon faible de ma lignée ? Pas un membre de ma famille qui, de vingt ans en huitante, n'a eu à affronter ce regard compatissant du coiffeur, toujours partant pour vous faire viser les linéaires de ses miracles liquides en onéreux flacons.

Car qu'est-on prêt à faire, en mâle un peu fier, pour ne pas voir sa vigueur capillaire s'essouffler dans le vent et se répandre au petit matin sur la porcelaine immaculée d'un lavabo ?

Assurément, et je l'ai longtemps gratuitement imaginé, je ne ferai nul savant collage sur ma petite tête bien faite pour cacher la faille de San Andreas qui me sillonne le haut du chef, escargot déplumé lézardant mon crâne et attisant, j'en suis certain, tous les regards compatissants des heureux chevelus en tous genres. Il va me falloir choisir entre la gourmande tondeuse, celle qui fera de moi le stéréotype évident du petit pédé branchouille, ni beau ni laid, crâne rasé pour une virilité toute codée, et la tentative désespérée de reconquête de mon eldorado à moi, cédant aux sirènes de la cosmétologie, science géniale et ambitieuse qui pourrait différer le crime de lèse-majesté que voilà.

Etrange, finalement, que ce dédain subit, lorsque la nature me l'impose, d'en passer par la lame, ne me laissant ici qu'une molle alternative entre le renoncement à un moi polymorphe et une course poursuite après le vent du nord qui les emporte l'un après l'autre...

Combien de fois ai-je donc porté le cuir libre, ou si peu envahi par une poussée vigoureuse, combien de passages de la mèche rebelle ou romantique à la virilité toute relative d'une jolie petite coupe courte, la nuque dégagée, symbole dans ma petite tête d'un érotisme offert à une main amie ? J'ai passé mon temps, ma vie, à changer d'apparence, à conjuguer les styles, et maintenant, c'en serait donc fini ?

Cruauté du temps qui passe, il va me falloir renoncer à m'accrocher à un âge d'or, bien que l'on ait les lingots que l'on mérite, et accepter la sentence du temps, vainqueur indomptable de tout effort de subsistance.

Mais j'y crois encore, à la coïncidence potentielle d'un traitement en cours, qui contre-indiquerait ardemment la repousse, comme à l'assistance efficace d'un autre, cette fois-ci dédié à la cause pas tout à fait encore perdue d'un appréciable et gratifiant sursis.

J'ai l'année pour y voir clair, ce là même où je traque cette détestable et envahissante clarté capillaire. Avant que ce jeu ne soit inexorablement couru d'avance et donné perdant, à mille contre un.

Horreur... le seul qu'il me restera !?!

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Commentaires
S
hmmm ... moi je les perds depuis que je commence a travailler ... mais de la a faire de la prose et a m'appitoyer sur mon sort, je considere cela comme la fatalité
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