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Journal de l'autre bord
8 février 2005

L'ylang-ylang bien pendu au petit matin

C'est là quasiment une tradition.

Avec le café, long moment s'étirant bien au-delà des quelques goulées nécessaires au courage, et même si le sucre ne fait pas l'unanimité dans nos tasses, il subsiste toujours en notre cercle quelques morceaux prêt-à-casser sur un dos qui s'ignore. En leurs lèvres, un goût commun et prononcé, une saveur bizarrement réconfortante, comme l'expression d'une gazette vivante, une critique en roue libre qui va nous narrer, dans la demi-minute même foulant l'événement, le tout dernier dérapage de l'autre, le scoop en question.

Et c'est bien ainsi que le petit univers de mon Bonifacio professionnel fonctionne, mécanique et rompu à cette pratique régalienne, à l'onction matutinale d'un roi des cons, tenant du titre pour longtemps. Cette huile volubile, à peine essentielle, au parfum poisseux, elles la versent, la déversent inexorablement, le coeur indigné, et s'insurgent avec véhémence contre ces faits, ces gestes, du camp d'en face. Car elles ont un rite qui s'ignore, mes femmes,  elles cajolent une petite manie d'esprit viscéralement critique, une humeur au moins chagrine, souvent vindicative, sinon quelquefois même méchante. Ces agents de surveillance improvisée sont malgré elles à la recherche d'une improbable découverte, briguant une sentence incontournable qui, définitivement, fera de l'autre un ennemi promis, juré, et craché. Fut-ce dans sa propre soupe. Un comble en somme en certaines occasions...

C'est donc selon, certes, et tout y varie, mais le ciel demeure quotidiennemenet témoin de ces cérémonies informelles qui  voient un dénigrement totalitaire couler sur des têtes évidemment absentes, caboches à réduire à l'instar de quelques improbables amazones... La guerre est là, précise et permanente, motivée on s'en doute, on le sait, on le croit, même si on finit par ignorer au juste le pourquoi du comment, à force de cumuler l'inventaire des tares d'autrui et de nos phantasmes.

Loin du caractère grandiloquent, limite guignolesque lorsque la démente irraison s'empare quelquefois de l'une d'entre elles, je sais qu'il est typiquement méditerranéen de parler fort, de s'emballer, d'hurler des véhémences révoltées, et de s'emporter sans ambages sur des mers que l'on sait éventuellement parfois démonter par ses propres bons soins. La grande bleue nous cerne, c'est évident, elle influe, rendant les âmes exactement sanguines, assises sur des charbons ardents dont le feu ne demande qu'à flamber au moindre détail. Mais il existe dans cet éternel recommencement, dans ces racontars de bureau, entre les "elle m'a pas dit bonjour" et les "tu as vu sa jupe ?", tout mon ennui de petit homme au milieu de ces dames.

Cela me rappelle une autre épuisante expérience, montargoise celle-là, où déjà je m'exaspérais par avance d'entendre les comptes-rendus des week-ends en famille, des aventures du petit dernier ou l'allusion aux ébats du dimanche soir d'après le film. Ma vie mâle contre leurs considérations féminines, j'ai souffert en silence pour longtemps porter bonne figure et ne pas être un ovni dans ce délicat univers de pathologie gynécologique...

Or, en ce cas présent, c'est un pire récurrent et exponentiel, c'est la jérémiade permanente, la joute de stratège, souvent à juste titre, certes, mais pas seulement... J'endure, je glisse, je cautionne l'omniprésence de ces conversations qui tournent en boucle d'or, bijou d'apparat verbalisant, et serinent le même mal-être des plus déplorables. Rejoindre le bureau m'en devient par définition pénible, redoutable, et j'atermoie inlassablement chaque jour le moment en cultivant un retard désormais légendaire.

Qui croira donc que je fais l'effort de rester davantage au lit pour ne plus les entendre, une heure durant, tartiner de fiel un incident presqu'imaginaire...?

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