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Journal de l'autre bord
29 juin 2004

La main de son maître

Des caresses à cinq doigts, mais pas seulement.

Cette extrémité experte peut trouver un prolongement nettement moins sensuel et autrement plus terre-à-terre dans l'utilisation parkinsonienne de l'infernale machine que constitue une télécommande télé. Et, passée la déception de voir ses soirées virer inexorablement France (encore que...) profonde, devant l'autel électrique attirant l'intégralité d'une attention que l'on préférerait dédiée autrement, l'on s'arrange de tout.

Ou presque.

Il m'est physiquement, moralement, et sentimentalement impossible de tolérer que l'on m'impose la valse à mille temps des fréquences hertziennes, chaque dix secondes éculées, de merdouille en connasserie, comme un papillon virevoltant devant l'ampoule incandescente sans jamais oser aller enfin s'immoler et ne plus faire chier son monde. Mais j'ai échappé au pire : la maison aurait pu être équipée du câble et devoir m'asséner les séquences volées, et prises au vol à main armée, d'une cinquantaine de chaînes en une pauvre minute, Rolex au poignet !

Mais même ainsi, le bagne existe donc et mon geôlier a ce nom qui me ravit... dans ces autres circonstances : L.U.D.O.V.I.C.

Et diable, je ne sais plus rester courtois en toute occasion, je ne sais plus me montrer glamour et prendre des gants de taffetas pour répéter ce que j'ai déjà exprimé une dizaine de fois, ce qui représente pour moi la quintessence de la politesse, une attention de bon aloi portée à sa moitié que l'on souhaite, que l'on appelle presque du pied, près de soi.

Car voilà bien ce que je suis, ce qu'il veut que je sois, lorsque je me pose enfin sur notre Chesterfield : un chat, un animal qui ronronne, une bête se lovant au creux de ses reins, qui n'existe que par la seule confortable présence qu'il manifeste mais n'a, par devers tout, aucun droit à la réflexion, aucune propension à un intérêt tout relatif que ses yeux pourraient découvrir, dans l'écran bleu de ses soirées-là. Aucun mot à dire : un chat, ça ne parle pas ; ça miaule de plaisir et c'est tout.

Alors ainsi, incidemment, sans que le contrat soit véritablement signé, ces clauses naturellement abusives s'imposant presque d'elles-mêmes, il me faut être disponible pour le retour du maître, il me faut, c'est évident, accepter de me faire écarter quotidiennement toute pâtée musicale dont j'aurais pu me délecter avant le moment de sa divine apparition. Il me faut surtout manifester mon attachement par ma disponibilité, ni là ni ailleurs, seulement à ses flancs, cadeau du temps que j'affectionne pourtant par dessus tout, puis me soumettre enfin dans le même instant, sans maudire.

Bien... Je peux assez facilement troquer une soirée avec Barbara, un aria de Callas ou même une chanson existentielle de Sheila, contre son bon plaisir télévisuel si telle est la façon de plier pour équilibrer les désirs d'un couple comme le nôtre, un couple ordinairement normal. Faut s'adapter ? Soit ! Je m'adapte avec talent, et depuis trois mois, sans que ceci ne me coûte tant que cela, l'amour géant aidant au prévisionnel impossible.

Chaque jour ainsi rendu à une case fièrement cochée, je suis roseau, je penche alors volontiers mais ne casse pas, excepté en cas de force contraire à l'élasticité toute relative de mes pauvres fibres, quand il fait de moi et, je l'espère, bien malgré lui, une chose insignifiante qui ne signifie rien et n'a rien à signifier, qui doit se soumettre à nier toute sa logique dans ce qui lui est présenté, avalant un bout de pub par ici et un autre de téléfilm par là, ingurgitant une question de journaliste pour en entendre, comme improbable réponse, le couplet idiot d'une chanson paraitrait-il dans le vent.

Il a le syndrome de la soirée tout-en-un, l'ensemble de l'offre dans sa propre demande, celle-là même dont il ignore tout et dont, qui plus est, il se fout au-delà du règne ainsi exercé, pouvoir régalien d'un zapping insensé.

L'égoïsme de l'homme moderne tient dès lors dans sa main et ne cessera, peut être, qu'avec le dernier spasme d'une pile de longtemps trop zélée... si tant est que l'on soit cet intendant suffisamment mauvais pour avoir omis de prévoir l'indispensable batterie de rechange !

Voilà pourquoi ce soir, après une centaine de soirées sous ce même mode anti-alternatif, j'ai décidé de mon propre chef que c'en était définitivement de trop, qu'il m'était impossible de pousser mon amoureuse soumission jusqu'à me cantonner à un rôle à peu près compris entre la canette de soda et la machine à câlins. Et, comble de toutes les audaces, j'ai inscrit dans l'espace que je n'entendrai désormais plus ses requêtes qui m'appellent près de lui, lorsqu'il minaude devant mon absence à ses côtés, puisque je préfère désormais, et de loin, l'inintérêt croissant d'une nuitée anticipée auprès de Morphée ou un parcours informatique dérouté, sans aucun autre but que celui d'assassiner généreusement le temps futile qui nous unit.

J'imagine que mes nerfs m'en sauront gré et les siens tout autant.

Car j'attends de lui bien plus que cela...

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