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Journal de l'autre bord
27 mai 2004

L'artiche au vinaigre

Point trop n'en faut, et cependant...

C'est quelque part le nerf, celui-là même qui nous pousse, las de se justifier, à une guerre inopinée, un soudain orage qui fait de nous deux des soldats involontairement ennemis, subitement enrôlés dans une opposition déclarée, et ce, pour notre plus grande peine : celle que l'on ressent déjà à la faire éprouver à celui que l'on aime. Une douleur de trop, en somme.

Et cependant, chacun a ses raisons, chacun a ses torts, mais ce sont ici deux mondes qui s'opposent, deux modes de vie azimutés, dans une lutte molle et cependant butée, où chacun tend à défendre sa cause perdue. Mon Chocolat aime l'insouciance du plaisir, parfois cher mais toujours tendre plaisir, tandis que je veille, moi, tel un Cerbère indomptable, sur l'intégrité de nos ressources, ces revenus qui n'ont de cesse de ne jamais revenir et semblent se jeter à la mer, chaque jour, davantage.

Et je ne déteste rien tant que tanner la bête encore et encore lorsque, quoique pas même abattue et exactement vaillante, on en a déjà soldé la peau le mois d'avant. Car ce proverbial ours, bien trop léché par nos soins, a malheureusement ses limites, du genre que mon banquier n'oublie jamais. Et de me le rappeler, avec cette humiliation dont il a le saint secret, dans un instant de honte, par le truchement d'une machine imbécile qui vous fait l'affront de ne point vous tirer la langue, cette liasse de billets bien repassés, pour mieux vous narguer par un message laconique vantant un crédit copieusement épuisé.

Les fins de mois s'avèrent chez quelques un difficiles, c'est un fait, mais pourquoi donc faut-il que ce soit chez moi un perpétuel 31 chaque semaine que Dieu fait ?

C'est ainsi que tout semble se résumer à cette équation dans la tête de mon Garou : à salaire médiocre, vie médiocre. Et la vie d'un petit fonctionnaire, à l'instar de celle d'un saisonnier hôtelier, a peu de chances de voir la vapeur s'inverser lestement. Sans volonté de le combattre, le sort sera d'autant plus de cet acabit, s'acharnant à se répéter inlassablement, lourdement, application méthodique, sans cesse résumée par un sempiternel "non, je n'en ai pas les moyens". La triste réalité... à laquelle j'ai tendance à m'attacher, les bras ballants, en vache asthénique dans un pré qui fixe le train fumant passer sans elle. Voilà qui est bien vrai, je l'avoue piteusement.

Via ce dernier chemin, je suis en mesure de discerner ma résignation agaçante, cette différence d'autant plus flagrante que Ludovic a, de son côté, les ambitions et les moyens de la réussite, celle qui passe par un niveau de vie autrement plus bourgeois, plus hédoniste, et déjà pratiqué durant ses années estudiantines, loin de la petite existence que mon emploi présent, et à fortiori le sien, nous imposent l'un l'autre.

Finalement, son naturel réflexe n'est jamais qu'un risque évanescent, une anticipation de bon aloi sur les promesses de cette vie professionnelle qu'il diffère d'amorcer, par évident amour pour moi, par respect du temps que requiert l'apprentissage de notre relation réciproque. C'est un cadeau de sa part ; l'ennui c'est qu'il a ponctuellement un prix.

Car jamais, ô grand jamais, je ne veux endurer qu'il induise ma responsabilité massive, celle qui me voudrait être l'instigateur involontaire, et volontairement désarmé, d'un tel état de faits aussi chiches, lorsque j'ai su apprendre, patiemment, à me satisfaire du peu que je possède déjà, en enfant de la simplicité.

Cela a bien failli en prendre l'amère tournure en tout état de cause,  mais cet homme a ceci de commun avec moi qu'il manie l'humilité comme l'amour : avec sincérité.

...Lors même qu'on n'est pas le chêne ou le tilleul,
Ne pas monter bien haut, peut-être, mais tout seul !

E. Rostand

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